• En silence, Engie délocalise sa relation clientèle

    En silence, Engie délocalise sa relation clientèle

    © ERIC PIERMONT La directrice générale d'Engie, Isabelle Kocher, le 8 mars 2018.

    En dix ans, l'ex-GDF Suez a déjà supprimé 1 200 emplois dans ses centres d'appels en externalisant ses téléconseillers chez des prestataires. Mais aujourd'hui, les syndicats craignent une véritable vague de délocalisation vers l'Afrique qui menacerait 3 500 emplois en France !

    La toute dernière campagne de com institutionnelle d’Engie présentée ce jeudi fait de «l’harmonie» la nouvelle valeur centrale du groupe de services énergétiques et environnementaux : dans un clip aux accents lyriques, le géant du CAC 40 vante la mobilisation de ses 150 000 collaborateurs pour «un progrès plus harmonieux» au service de la planète et de ses habitants et dit vouloir «réconcilier performance économique et responsabilité sociale et environnementale», envolée de violons à l’appui. Mais à en croire l’intersyndicale qui défend les intérêts des chargés de relation clientèle d’Engie, cette zénitude publicitaire n’est pas vraiment au programme pour les quelque 1 500 opérateurs téléphoniques qui travaillent encore au sein du groupe et leurs 3 000 collègues employés dans les centres d’appels chez une dizaine de sous-traitants.

    «Nous vivons un plan social qui ne dit pas son nom depuis des années : en dix ans, 19 des 32 centres de relation clients en France ont été fermés et près de 1 200 emplois supprimés chez Engie et ses prestataires. Mais aujourd’hui, tout s’accélère et ce sont 3 500 emplois en France qui risquent d’être délocalisés vers le Maroc, le Cameroun, le Sénégal», alerte Patricia Chastan, déléguée CFE-CGC. Des pays où les téléconseillers qui vendent des offres de gaz et d’électricité aux clients français sont payés moins de 500 euros par mois, trois fois moins qu’en France. Pour cette dernière, l’attitude de la direction est «d’autant plus socialement inexcusable qu’il s’agit de réaliser des économies de bout de chandelle» : à ce jour les délocalisations n’auraient généré que 7 millions d’euros d’économies annuelles, et même 5,8 millions seulement si l’on retranche le coût des mesures d’accompagnement en France. Une somme ridicule quand on la compare au programme de 15 milliards d’euros de cession d’actifs en cours au sein d’Engie, ou au 1,3 milliard d’euros d’économies annuelles annoncées par la directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, dans le cadre de son nouveau plan de performance «Lean 2018». Mais apparemment, chaque million d’euros économisé est bon à prendre. Contactée par Libération, la direction du groupe assume la réduction de voilure en cours: «Certes, nous avons moins de chargés de clientèle car les clients appellent de moins en moins, ils réclament et utilisent des solutions web ou mobiles». Engie assure aussi avoir créé «des milliers d'emploi» dans d'autres secteurs par son activité et sa croissance, et explique que «préparer le monde de demain, c'est la meilleure garantie de l'emploi»...

    Logique de délocalisation

    Depuis l’ouverture du marché à la concurrence en 2007, les centres d’appels qui démarchent les particuliers sont pourtant devenus le nerf d’une guerre commerciale sans pitié qui oppose l’ex-GDF Suez aux nouveaux entrants comme Direct Energie (tout récemment racheté par Total), Eni ou Cdiscount. Pour supporter cette guerre des prix, il faut réduire les coûts à tout prix en externalisant ce qui peut l’être, a-t-on expliqué aux partenaires sociaux. Au départ, ces derniers ont accepté de jouer le jeu, à condition que l’emploi reste en France. En dix ans, plus de 80% de l’activité commerciale est ainsi sortie du périmètre du groupe au profit de prestataires comme Arvato, Acticall, Armatos, Sitel qui ont implanté leurs plateaux téléphoniques en région, à Coudekerque, Saint-Etienne, Nancy, Châteauroux, Caen ou La Rochelle au gré des incitations locales.

    Evidemment, chez Engie, le travail s’est fait de plus en plus rare au fil des années pour les commerciaux maison. Certains se sont vus proposer des reclassements ici et là au sein des entités du groupe. D’autres se sont retrouvés sans affectation réelle et ont été incités au départ volontaire. Malgré les mécontentements, les syndicats ont joué le jeu jusqu’en 2015, date à laquelle l’externalisation en douceur a cédé la place à une vraie logique de délocalisation pure et dure : «Cela a coïncidé avec l’arrivée d’Hervé-Matthieu Ricour à la tête de l’activité "BtoC". Ce transfuge de SFR a importé chez Engie les méthodes commerciales très agressives et les pratiques offshore du monde des télécoms. L’esprit service public des anciens de GDF n’était plus du tout de saison», se souvient Patricia Chastan. «On a commencé à nous parler d’expérimentations au Portugal, puis au Maroc. Puis tout est allé très vite, les commerciaux d’Engie étaient invités dans de beaux hôtels à Marrakech, prime à l’appui, pour aller former ceux qui allaient prendre leur travail comme chez Castorama», poursuit Gildas Gouvazé, délégué FO. Mais les représentants du personnel n’ont découvert l’ampleur des dégâts à venir que le 29 août 2017 à l’occasion d’un comité d’entreprise : «Ce jour-là nous avons appris que les délocalisations au Portugal, au Maroc, à l’île Maurice concernaient déjà 30% de l’activité et que la direction visait 50% voire beaucoup plus en confiant notre travail à de nouveaux prestataires au Cameroun et au Sénégal.»

    «Une liquidation pure et simple»

    Avec la fin des tarifs réglementés du gaz et la nouvelle concurrence qui s’annonce, les syndicats d’Engie craignent même désormais «une liquidation pure et simple» de l’emploi commercial en France d’ici 2020. Chez Engie mais aussi chez les prestataires. «Qu’adviendra-t-il de tous ces salariés qui travaillent dans des régions où l’emploi est déjà sinistré ? Nous nous battons aussi pour eux», s’inquiète Gildas Gouvazé. En attendant, l’image commerciale du groupe en a déjà pris un coup : «EDF qui est venu nous concurrencer sur le gaz a fait de la localisation de son service client en France un argument commercial. Engie a fait le contraire en délocalisant à tout va avec pour conséquence une dégradation sans précédent de la relation client», pointe Patricia Chastan : fin 2017, Engie a ainsi reçu le «Cactus de la pire pratique commerciale» décerné par l’association 60 Millions de consommateurs. Voilà qui cadre mal avec le discours d’Isabelle Kocher qui, dans une tribune publiée sur son compte Linkedin jeudi pour relayer la campagne de com «Harmonie», assure que «ce n’est pas rentabilité ou responsabilité. C’est rentabilité parce que responsabilité»…

    Depuis ce fameux CE, l’intersyndicale CFE-CGC, FO, CGT, CFTC fait feu de tout bois pour tenter de contrer les projets de la direction. Après deux journées de grève en septembre et novembre 2017, elle est passée à la vitesse supérieure : procédure en justice pour obtenir que la procédure d’information-consultation soit respectée, courriers aux députés LREM, demande de rendez-vous à Bercy… Patricia Chastan, qui a participé aux négociations chez Engie pour la signature d’un accord européen pour la responsabilité sociale et environnementale, se dit «écœurée» par le manque de considération pour les partenaires sociaux dont a fait preuve la direction d’Engie dans cette affaire : «Isabelle Kocher a refusé de nous recevoir, elle nous a renvoyés vers le DRH qui a accepté de nous voir à condition de ne pas parler du plan de délocalisation…» Aujourd’hui, le dialogue social semble donc au point mort, ce que réfute en partie la direction d'Engie: «nous avons une longue tradition de dialogue fructueux avec les syndicats et, à l'heure actuelle, nous sommes en plein process de médiation avec ceux qui le souhaitent»

    Interpellé par les syndicats et des parlementaires saisis du dossier, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, leur a dit que l’Etat, actionnaire de référence d’Engie (avec 24% du capital), resterait «particulièrement attentif à la dimension sociale de la transformation du groupe». Et juge «intéressant» l’exemple italien mis en avant par les syndicats : de l’autre côté des Alpes, de grands donneurs d’ordre comme Eni, Enel ou Vodafone se sont engagés à plafonner à 20% les délocalisations de leurs centres d’appels en dehors de l’UE. Bruno Le Maire a transmis le dossier au délégué interministériel chargé des restructurations d’entreprises.

    Mais en plein conflit SNCF, les syndicats d’Engie savent que leur combat contre les délocalisations ne pèse pas bien lourd. Ils ont récemment rencontré et reçu le soutien du député insoumis François Ruffin, décidément sur tous les fronts sociaux, et se réservent le droit de mener de nouvelles actions retentissantes dans le cadre de la «convergence des luttes». Les chargés de clientèle d’Engie pourraient par exemple s’inviter au pied de la tour Engie à La Défense un jour de conseil d’administration ou d’assemblée générale des actionnaires…

    Libération

    Encore du chômage en vue !!!


  • Commentaires

    1
    Vendredi 27 Avril 2018 à 17:12

    et combien d' autres !

    C' est bien l a preuve que l' Europe ne sert  à rien pour  protéger les  emplois, le  libéralisme est une folie !

     Et le gouvernement affirme que le chômage va baisser ?

    2
    Rakia
    Vendredi 27 Avril 2018 à 17:59

    La recherche de la main d’oeuvre le moins cher ,a contraint plusieurs 

    patrons d’aller ailleurs ,en abandonnant les ouvriers à leur triste sort,c’est vraiment lâche !

    Le chômage baisse,un mensonge  pour endormir les citoyens,c’est honteux !

    3
    Françoise
    Vendredi 27 Avril 2018 à 19:20

    Le chômage est en nette augmentation ,Pôle Emplois est  rempli de fausses offres! La précarité augmente  les merdias lèche cul du Macron publient des chiffres erronés complètement farfelus ,il n'y aura aucune reprise économique  et elle ne repartira pas  et comme l'instabilité boursière est à son comble  avec des baisses d'actifs etc.. les beaux jours ne sont pas pour demain en ce qui concerne l'emploi et avec les populaces qui rentrent et qui seront prioritaire pour le travail, les Français diplômé où non ont du souci à se faire!

    4
    fripouille
    Vendredi 27 Avril 2018 à 20:33

    Les centres d'appel ne me concernent pas, je ne réponds jamais au téléphone ! Le répondeur est là pour filtrer. Et les rares fois où je réponds c'est "Bouhana" qui parle et je ne comprends rien...

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