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Par CHANTOUVIVELAVIE le 23 Mai 2020 à 20:58
* A Domfront, Orne, nous étions quelque peu éloignés des plages du débarquement, mais nous fûmes vite rattrapés par la guerre. Les américains voulaient détruire les deux énormes citernes d'essence près de la gare pour que les allemands ne puissent pas en profiter. Hélas, à cette époque, les tirs n'étaient pas très précis. Et au lieu de tomber sur les citernes, les bombes tombaient sur la ville. A chaque sirène, nous traversions la place St-Julien pour aller nous réfugier dans une cave voûtée (ancienne prison). Une fois, une bombe est tombée tout près de cette cave, juste en face de notre petite bijouterie, la voûte bougea ! Alors mon padre dit que cet endroit n'était plus sûr. Donc, à chaque sirène, nous partions en courant tous les quatre, mes parents, mon frère et moi au "Château", il fallait traverser la place de la mairie, et nous allions dans les casemates (photo ci-dessus), certains y apportaient leur matelas et y dormaient. Les bombardements étaient de plus en plus rapprochés ; un matin de juin 44, on nous donna une adresse d'une ferme au hameau Le Cerisier à 3 km de Domfront. Mon père décida qu'il fallait partir, donc le soir, nous partions à pied en emportant le maximum de marchandises ! J'avais ma poussette de poupée pleine à craquer, le pont de Godras, où nous devions passer était détruit par une bombe, juste un petit passage étroit, environ 60 cm de large, à 7 ans, j'avais peur, mon père me dit "avance, ne regarde pas en bas...", j'obéissais, on ne résistait pas à mon père ! Ensuite la route, 3 km, c'est long, à chaque passage d'avion, nous nous précipitions dans le fossé pour ne pas être vus et mitraillés. Enfin, nous arrivâmes dans cette "foutue" petite ferme !
* Le 15 août 1944, dans l'après-midi, mon paternel était parti écouter la TSF (radio), interdit à l'époque, dans une autre ferme du hameau, ma mère était dehors, derrière la maison, à la tinette ! J'étais donc seule avec mon frère de 11 ans. Pas d'avion depuis un moment, le silence, nous ouvrîmes la porte, nous regardions dehors. Mon frangin me tenait par le haut du bras droit pour que je ne sorte pas. Soudain un fracas énorme, épouvantable, nous rentrons vite et refermons la porte ... un obus allemand était tombé à quelques mètres de nous, dans la cour de la ferme. Ma mère revint, puis plus tard mon père ; dans la soirée nous vîmes du sang par terre ...
* Avant de continuer, je voulais vous dire : dans le bas de la cour, à droite, il y avait une petite écurie avec un cheval, il reçut un éclat d'obus. Il est mort. A gauche, il y avait l'étable avec des vaches. Mon père avait bien recommandé à la fermière de ne pas sortir, tant pis pour les vaches et leur lait, mais elle ne l'écouta pas ... Un éclat d'obus lui sectionna une jambe, elle tomba dans le purin. A son retour, mon père, aidé par d'autres personnes, la transportèrent dans son lit. Un médecin fût appelé. Mon père la veilla seul toute la nuit. Tous les autres étaient partis dans un abri souterrain (fait de troncs d'arbres). Quand le médecin arriva le matin, la pauvre femme était morte dans de terribles souffrances. C'était la nuit du 15 au 16 août 1944.
* reprise - ... du sang par terre ... Je me suis mise à me gratter le bras droit et le poignet gauche à travers mes vêtements. Mon padre s'exclama : "mais c'est la gosse qui saigne". J'avais le coude droit transpercé et le poignet gauche troué ! Je n'avais rien senti ! Si j'avais été un peu plus à droite ou à gauche, je ne serai plus là pour faire mon blog ! Mon frère fût indemne. Ma mère me mit des pansements provisoires, nous allâmes dormir dans l'abri souterrain tandis que mon père veillait la fermière.
* Le lendemain matin, mon père avec sa blouse blanche et moi, partions à l'aventure pour chercher de l'aide. Il fallait faire attention où nous marchions car il y avait des mines. Nous sommes passés dans plusieurs hôpitaux de campagne américains sous des tentes. Mon paternel, qui avait quelques notions d'anglais grâce au manuel "L'anglais sans maître" entendit les médecins dire : cut the arm, cut the arm. Il comprit qu'ils voulaient me couper le bras à cause de la chaleur et du tétanos ! Non, dit-il, dans son charabia franco-anglais, il faut l'emmener à l'hôpital ... Je me souviens avoir vu par terre un homme sans épaule dont le bras tenait par un petit bout de chair dessous. Cette image est restée gravée dans mon esprit, ça marque une fillette de 7 ans. Enfin, une jeep américaine nous emmena à l'hôpital d'Avranches.
* L'hôpital d'Avranches était archi plein. J'étais dans une chambre avec une dame qui, après avoir gémi toute la nuit, mourût le matin. Elle avait reçu un éclat d'obus dans le ventre. Mon père dormait dans un fauteuil.
Pour m'opérer, on me mit un masque en caoutchouc sur la figure. Comme je gémissais, je reçus un fort coup sur le visage pour replacer le masque, je m'en souviens encore !
* A la fin du deuxième jour d'absence, avec mon plâtre au bras droit et un simple pansement au poignet gauche dont l'hôpital ne s'était pas occupé , une voiture nous ramena au village du Cerisier. Ma mère pleura de joie en nous voyant, elle avait craint que nous ayons sauté sur une mine, deux jours sans nouvelles, c'était long !
Nous dormions donc, depuis juin 1944 soit deux mois, dans une petite pièce de la ferme ! Mes parents dans un lit, mon frère et moi, sur des matelas par terre.
Quelques jours après notre retour de l'hôpital, cela sentait mauvais dans la chambre. On se sentait les uns les autres ... c'était moi qui dégageait une odeur de pourriture. Mon père trouva quelqu'un pour nous emmener à Domfront, chez le Dr Lévesque, notre médecin de famille. Il coupa le plâtre ... mon bras pourrissait ! On ne doit jamais mettre un plâtre fermé pour une fracture ouverte ! Et mon coude droit était cassé et ouvert. Il désinfecta la plaie et fit un simple pansement. J'ai depuis une "belle" cicatrice à cet endroit du bras. Le trou dans mon poignet gauche était de la grosseur du pouce à mon père. ma mère versait du Dakin dans le trou au dessus du poignet et il ressortait par le trou du côté. Des nerfs avaient été sectionnés. Ma mère fixait chaque jour une planchette en bois pour redresser mes doigts.
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Par CHANTOUVIVELAVIE le 23 Mai 2020 à 20:57
Nous dormions dans la pièce de gauche. L'étable où a été blessée cette pauvre fermière était à droite, elle est en ruines.
J'y suis retournée fin juillet 2010 avec mon jeune fils et sa femme. Nous avons pris beaucoup de photos. Un bien triste souvenir. cela fait aujourd'hui 68 ans !
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Par CHANTOUVIVELAVIE le 23 Mai 2020 à 20:57
J'ai fait une croix pour Domfront et pour Avranches
Quelques années plus tard, mon père m'emmena deux fois en deux ans au Centre de Réforme du Mans dans la Sarthe pour divers examens médicaux. J'obtins une pension de blessée civile de guerre que je perçois toujours, le minimum, 10 %.
C'est vrai que je ne pouvais pas apposer mon pouce aux autres doigts de la main gauche. Je n'ai aucune sensibilité aux extrémités des doigts à part le petit dont je me sers pour taper sur le clavier de la main gauche ! L'ongle de mon index est resté de la grandeur de celui que j'avais à 7 ans. Je n'ai pas de force dans la main, cette dernière est plus petite que l'autre ce qui rend mon bras plus court, mais cela ne saute pas aux yeux.
En Suisse, j'ai eu la chance de subir une opération dans une clinique spécialisée. les chirurgiens ont pris un tendon de l'annulaire (on a deux tendons par doigt) et après avoir effectué plusieurs entailles dans la main, ils l'ont fixé au pouce. Je peux maintenant apposer un tout petit peu mon pouce aux autres doigts mais pas jusqu'au petit doigt, mais ça tire la peau au poignet. J'ai toujours peu de force dans cette pauvre main gauche non soignée à l'hôpital d'Avranches.
Ceci est la fin du récit de mes blessures de guerre du 15 août 1944
J'espère que vous lirez ce récit en entier et qu'il vous intéressera. J'ai passé du temps à le rédiger et à le taper ! Merci.
3 commentaires -
Par CHANTOUVIVELAVIE le 23 Mai 2020 à 20:57
Je me suis souvenue d'un petit cadeau d'un médecin américain sous une tente, alors je viens de le photographier.
J'étais assise sur ses genoux, il passait un peigne dans mes longs cheveux, me donnait des bonbons et m'offrit ce pin's. Je ne savais pas ce que c'était à l'époque mais j'étais très contente. Je l'ai gardé précieusement, la preuve le voilà !
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