• L'esclavage moderne en procès : «Il avait les clés, de quoi avait-il peur ?»

    L'esclavage moderne en procès : «Il avait les clés, de quoi avait-il peur ?»

    Se tenait lundi l'audience en correctionnel du couple de hauts dignitaires burundais jugés pour «traite d’être humain» et «travail forcé». Pendant dix ans dans les Hauts-de-Seine, ils ont fait vivre un huis-clos à Méthode Sindayigaya, un ex-employé.

    Un couple chétif s’avance dans le couloir du tribunal correctionnel de Nanterre. Les deux époux, d’un certain âge, marchent serrés l’un contre l’autre, comme soudés par un fil invisible. Arrivés dans l’enceinte de la chambre où se tiendra leur procès, mari et femme prennent place sur le banc des accusés. Les époux Mpozagara, des hauts dignitaires burundais, vont devoir répondre des faits de «traite d’être humain» et de «soumission à du travail ou à des services forcés» sur Méthode Sindayigaya, l’un de leurs anciens «employés», resté enfermé dix ans dans leur pavillon de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine). La présidente commence par rappeler les postes prestigieux exercés par «monsieur», notamment ses titres à l’Unesco. Sous le costume foncé et les lunettes sombres de Gabriel Mpozagara, se cache bel et bien, comme le souligne la présidente, un «homme important». «Un sage, plein de culture, et respecté dans son pays», assure l’avocat du couple Emmanuel Marsigny. Un portrait aux antipodes du récit tenu par leur ex-subordonné, assurant avoir vécu un huis-clos tyrannique. 

     

    Méthode Sindayigaya, aujourd’hui âgé de 39 ans, reproche à la famille de lui avoir «volé sa liberté» pendant dix ans. Entre le printemps 2008 et le 12 juillet 2018, le jeune Hutu a travaillé pour le compte de la famille Mpozagara, loin des siens, et loin de ses terres, le Burundi. Tout cela, pour un salaire de misère. «J’étais réduit en esclavage, raconte-t-il pudiquement à la barre. Ils me donnaient au mieux 50 ou 100 francs burundais tous les deux mois, ce qui correspond à peu près à 20 euros. Chez moi, au moins, je cultivais les légumes, j’avais une femme, et deux enfants. Je suis parti pour travailler pendant trois mois en France, et j’y suis resté dix ans», raconte-t-il aux magistrats, dans sa langue natale, le kirundi, avec l’aide d’un interprète. De temps à autre, quelques mots de français s’échappent de son discours, comme pour exprimer la joie ou la fierté de pouvoir aujourd’hui «demander justice» dans son nouveau pays, la France, où il a obtenu le statut de «réfugié politique». Une «manœuvre», selon la partie adverse, pour obtenir leur condamnation.

    «Méthode pouvait s’en aller s’il en avait envie»

    «Avant d’être libéré de la maison, Méthode n’était jamais sorti de Ville-d’Avray, renvoie l’un des avocats de l’ex-paysan. Il n’avait jamais vu la tour Eiffel.» Derrière les murs de leur maison, à Ville-d’Avray en banlieue parisienne, le jeune homme passe ses nuits dans une «chambre d’amis», aménagée au sous-sol entre la chaudière et la machine à laver. D’après les époux Mpozagara, l’homme serait venu du Burundi pour venir en aide à leur fils handicapé, et n’aurait jamais souhaité repartir dans son pays. Il serait devenu, avec le temps, un «membre de la famille», une «compagnie» pour leurs quatre enfants. Une hérésie pour la défense : «Je vois bien que le mot "contrat de travail" vous écorche !» cingle Martin Pradel, avocat de Méthode Sindayigaya, qui dénonce la tentative faite par Mpozagara de dissimuler le travail effectué par son client, dont le manque à gagner est évalué à plus de 528 000 euros par l’Urssaf, également partie civile au procès, au côté du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM). «Il pouvait s’en aller s’il en avait envie, pique à son tour Me Emmanuel Marsigny. Il avait les clés, de quoi avait-il peur ? D’être renvoyé chez lui par la police ? Mais c’est ce qu’il souhaitait, rentrer chez lui !»

    «J’avais peur», souffle simplement Méthode Sindayigaya. «Peur de la police», peur «de ne plus revoir[son]passeport». Le document lui aurait été «confisqué par les Mpozagara» à son arrivée, affirmera-t-il tout au long du procès. Celle qu’il appelle encore «Madame» (la «plus dure» et la «plus méchante», selon lui) foudroie le jeune homme du regard au moment d’évoquer les «brimades» subies pendant dix ans. «Chez nous, une femme ne peut pas frapper un homme, c’est une coutume», se défend-elle, en se drapant dans sa dignité. «Vous vous foutez du monde, complètement», reprend son mari, Gabriel, qui demande à Méthode, «droit dans les yeux», s’il ose affirmer qu’il l’a déjà fait s’agenouiller, «ne serait-ce qu’une seule fois», devant lui, comme il le prétend.

    «Nous avons vu une arrogance terrible s’exprimer»

    La présidente coupe l’échange : «Nous avons fait le point sur la personnalité du prévenu, je crois.» A l’heure du réquisitoire, le parquet réclame trois ans de prison pour les deux époux, dont un avec sursis et mise à l’épreuve, avec l’obligation de réparer le préjudice causé : «La traite d’un être humain est le fait de recruter une personne, de la transporter, puis de l’héberger, afin de l’exploiter sous la contrainte : c’est exactement ce qui s’est passé chez les Mpozagara pendant dix ans», assène la procureure, Nathalie Foy. «Nous avons vu une arrogance terrible s’exprimer», attaque à son tour Me Martin Pradel, qui rappelle la précédente condamnation de «madame» pour violences aggravées. «Ma conviction, conclut Martin Pradel, c’est que si vous ne les condamnez pas, ils le referaient à nouveau.» Méthode Sindayigaya a le regard soudain lumineux. Il a retrouvé le sourire. Le jugement est mis en délibéré au 21 octobre.

    Libération


  • Commentaires

    1
    Jeudi 12 Septembre 2019 à 09:05

    Comme  quoi  les  histoires   de racisme concernent  bel  et  bien  les  noirs  eux  mêmes

    2
    Rakia
    Jeudi 12 Septembre 2019 à 09:54

    J’ai pas bien compris ,ils ne risquent que deux ans de prison ferme,

    c’est le prix de quoi ??? Une honte cette justice complice d’une histoire 

    d’esclavage méprisante et repoussante ! Ce couple mérite de la prison ferme

    à vie et une forte amende ,une grosse somme devrait être payée à leur "prisonnier malgré lui " !

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