• Mes blessures de guerre 15 août 1944 - 1/4

    Mes blessures de guerre 15 août 1944 - 1/4

    * A Domfront, Orne, nous étions quelque peu éloignés des plages du débarquement, mais nous fûmes vite rattrapés par la guerre. Les américains voulaient détruire les deux énormes citernes d'essence près de la gare pour que les allemands ne puissent pas en profiter. Hélas, à cette époque, les tirs n'étaient pas très précis. Et au lieu de tomber sur les citernes, les bombes tombaient sur la ville. A chaque sirène, nous traversions la place St-Julien pour aller nous réfugier dans une cave voûtée (ancienne prison). Une fois, une bombe est tombée tout près de cette cave, juste en face de notre petite bijouterie, la voûte bougea ! Alors mon padre dit que cet endroit n'était plus sûr. Donc, à chaque sirène, nous partions en courant tous les quatre, mes parents, mon frère et moi au "Château", il fallait traverser la place de la mairie, et nous allions dans les casemates (photo ci-dessus), certains y apportaient leur matelas et y dormaient. Les bombardements étaient de plus en plus rapprochés ; un matin de juin 44, on nous donna une adresse d'une ferme au hameau Le Cerisier à 3 km de Domfront. Mon père décida qu'il fallait partir, donc le soir, nous partions à pied en emportant le maximum de marchandises ! J'avais ma poussette de poupée pleine à craquer, le pont de Godras, où nous devions passer était détruit par une bombe, juste un petit passage étroit, environ 60 cm de large, à 7 ans, j'avais peur, mon père me dit "avance, ne regarde pas en bas...", j'obéissais, on ne résistait pas à mon père ! Ensuite la route, 3 km, c'est long, à chaque passage d'avion, nous nous précipitions dans le fossé pour ne pas être vus et mitraillés. Enfin, nous arrivâmes dans cette "foutue" petite ferme !

     

    * Le 15 août 1944, dans l'après-midi, mon paternel était parti écouter la TSF (radio), interdit à l'époque, dans une autre ferme du hameau, ma mère était dehors, derrière la maison, à la tinette ! J'étais donc seule avec mon frère de 11 ans. Pas d'avion depuis un moment, le silence, nous ouvrîmes la porte, nous regardions dehors. Mon frangin me tenait par le haut du bras droit pour que je ne sorte pas. Soudain un fracas énorme, épouvantable, nous rentrons vite et refermons la porte ... un obus allemand était tombé à quelques mètres de nous, dans la cour de la ferme. Ma mère revint, puis plus tard mon père ; dans la soirée nous vîmes du sang par terre ...

     

    * Avant de continuer, je voulais vous dire : dans le bas de la cour, à droite, il y avait une petite écurie avec un cheval, il reçut un éclat d'obus. Il est mort. A gauche, il y avait l'étable avec des vaches. Mon père avait bien recommandé à la fermière de ne pas sortir, tant pis pour les vaches et leur lait, mais elle ne l'écouta pas ... Un éclat d'obus lui sectionna une jambe, elle tomba dans le purin. A son retour, mon père, aidé par d'autres personnes, la transportèrent dans son lit. Un médecin fût appelé. Mon père la veilla seul toute la nuit. Tous les autres étaient partis dans un abri souterrain (fait de troncs d'arbres). Quand le médecin arriva le matin, la pauvre femme était morte dans de terribles souffrances. C'était la nuit du 15 au 16 août 1944.

     

    * reprise - ... du sang par terre ... Je me suis mise à me gratter le bras droit et le poignet gauche à travers mes vêtements. Mon padre s'exclama : "mais c'est la gosse qui saigne". J'avais le coude droit transpercé et le poignet gauche troué ! Je n'avais rien senti ! Si j'avais été un peu plus à droite ou à gauche, je ne serai plus là pour faire mon blog ! Mon frère fût indemne. Ma mère me mit des pansements provisoires, nous allâmes dormir dans l'abri souterrain tandis que mon père veillait la fermière.

     

    * Le lendemain matin, mon père avec sa blouse blanche et moi, partions à l'aventure pour chercher de l'aide. Il fallait faire attention où nous marchions car il y avait des mines. Nous sommes passés dans plusieurs hôpitaux de campagne américains sous des tentes. Mon paternel, qui avait quelques notions d'anglais grâce au manuel "L'anglais sans maître" entendit les médecins dire : cut the arm, cut the arm. Il comprit qu'ils voulaient me couper le bras à cause de la chaleur et du tétanos ! Non, dit-il, dans son charabia franco-anglais, il faut l'emmener à l'hôpital ... Je me souviens avoir vu par terre un homme sans épaule dont le bras tenait par un petit bout de chair dessous. Cette image est restée gravée dans mon esprit, ça marque une fillette de 7 ans. Enfin, une jeep américaine nous emmena à l'hôpital d'Avranches.

     

    * L'hôpital d'Avranches était archi plein. J'étais dans une chambre avec une dame qui, après avoir gémi toute la nuit, mourût le matin. Elle avait reçu un éclat d'obus dans le ventre. Mon père dormait dans un fauteuil.

    Pour m'opérer, on me mit un masque en caoutchouc sur la figure. Comme je gémissais, je reçus un fort coup sur le visage pour replacer le masque, je m'en souviens encore !

     

    * A la fin du deuxième jour d'absence, avec mon plâtre au bras droit et un simple pansement au poignet gauche dont l'hôpital ne s'était pas occupé , une voiture nous ramena au village du Cerisier. Ma mère pleura de joie en nous voyant, elle avait craint que nous ayons sauté sur une mine, deux jours sans nouvelles, c'était long ! 

    Nous dormions donc, depuis juin 1944 soit deux mois, dans une petite pièce de la ferme ! Mes parents dans un lit, mon frère et moi, sur des matelas par terre.

    Quelques jours après notre retour de l'hôpital, cela sentait mauvais dans la chambre. On se sentait les uns les autres ... c'était moi qui dégageait une odeur de pourriture. Mon père trouva quelqu'un pour nous emmener à Domfront, chez le Dr Lévesque, notre médecin de famille. Il coupa le plâtre ... mon bras pourrissait ! On ne doit jamais mettre un plâtre fermé pour une fracture ouverte !  Et mon coude droit était cassé et ouvert. Il désinfecta la plaie et fit un simple pansement.  J'ai depuis une "belle" cicatrice à cet endroit du bras. Le trou dans mon poignet gauche était de la grosseur du pouce à mon père. ma mère versait du Dakin dans le trou au dessus du poignet et il ressortait par le trou du côté. Des nerfs avaient été sectionnés. Ma mère fixait chaque jour une planchette en bois pour redresser mes doigts.


  • Commentaires

    1
    Samedi 23 Mai 2020 à 20:41

    J'ai copié mes blessures de guerre des fois que Center supprime mon blog comme celui de Stan.

    2
    Dimanche 24 Mai 2020 à 06:54

    une  rude   période, où la  vie   ne tenait    qu'à  un   fil !

    Heureusement    que  ton  père   n' a  pas  écouté   les  médecins  américains   militaires

    3
    Françoise
    Dimanche 24 Mai 2020 à 08:58

    Des Évènements qui marque à vie c'est évident et que tu avais fort bien résumé!Une sale guerre aussi que celle-là  mais pas rancunier les Français  ils ont fait ami-ami avec les Allemand depuis!

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