• Jean Ziegler : «Les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Ecologie»

    Jean Ziegler : «Les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Ecologie»

    Pour le sociologue et altermondialiste suisse, la démission de Nicolas Hulot illustre la faiblesse des institutions démocratiques face au capitalisme financier globalisé. Une absence de contre-pouvoir qui entraîne mépris du bien commun et destruction progressive de la planète et de la biodiversité.

    De l’air irrespirable, une eau polluée, une nourriture empoisonnée… La Terre est en sursis, les hommes tombent malades, et pourtant un ministre de l’Ecologie démissionne du gouvernement français parce qu’il se sent impuissant face aux lobbys. Jean Ziegler, homme politique, altermondialiste et sociologue ne dénonce pas ces derniers qu’il appelle des «larbins» mais tout le système capitaliste, responsable selon lui de la destruction de la planète.

    Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis 2009 et ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde, il vient de publier le Capitalisme expliqué à ma petite fille, (éditions du Seuil, 2018).

     

    Que révèle la démission de Nicolas Hulot sur l’écologie et la politique ?

    Dans son interview à France Inter, Nicolas Hulot a prononcé une phrase-clé : «C’est un problème de démocratie : qui a le pouvoir ?» Qui, en effet, a le pouvoir dans nos démocraties ? La réponse est claire : le capital financier globalisé. Ce n’est donc pas un gouvernement qui détient le pouvoir en la matière, et encore moins un ministre de l’Ecologie, aussi courageux soit-il.

    Nos démocraties ne peuvent-elles donc rien faire contre le pouvoir de la finance ?

    En France, et en Europe occidentale en général, il y a un formidable mouvement pour la protection de l’environnement et des solidarités importantes dans une société civile puissante, une bonne recherche scientifique, une théorie et une pratique de l’écologie. Ce mouvement est impressionnant, mais à l’heure actuelle il rencontre un adversaire plus puissant que lui : les maîtres du capital financier globalisé. Ce sont ces oligarchies qui gouvernent la planète. La démocratie française, comme toutes les autres, est une démocratie simulative. Elle fonctionne institutionnellement, mais elle n’a pas le pouvoir réel sur les choses essentielles, et notamment sur l’économie…

    Qui œuvre en coulisse ? Les lobbyistes des puissances financières ?

    Les lobbyistes ce sont des exécutants, des larbins. Les décisions sont prises par les oligarchies, c’est-à-dire des grandes banques ou des présidents de sociétés multinationales qui envoient ensuite des employés, des lobbyistes, pour imposer leurs points de vue et empêcher l’adoption de lois non conformes à leurs intérêts. Il y a à Bruxelles plus de 1 500 bureaux de lobbyistes.

    Selon vous, ces oligarques qui dominent l’économie mondiale ont un «même aveuglement pour la planète et le sort des hommes qui y vivent».

    Oui et ils sont les véritables maîtres de la planète. Ils ont créé un ordre cannibale du monde : avec d’énormes richesses pour quelques-uns et la misère pour la multitude. Je prends un exemple : selon la FAO, toutes les cinq secondes, un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim alors que l’agriculture mondiale pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit pratiquement le double de l’humanité. Selon la Banque mondiale, les 500 sociétés transcontinentales privées les plus puissantes, tous secteurs confondus, ont contrôlé l’année dernière 52,8% du produit mondial brut, c’est-à-dire de toutes les richesses produites en une année sur la planète.

    Dans votre livre Le capitalisme expliqué à ma petite fille vous écrivez que les dirigeants de ces grandes sociétés détiennent un pouvoir comme «aucun empereur, aucun pape, aucun roi n’en a jamais disposé dans l’histoire des peuples». Ces sociétés ne sont donc contrôlées par personne ?

    Personne. Elles échappent à tout contrôle parlementaire, étatique, onusien, syndical… Prenons l’exemple du glyphosate, le pesticide le plus utilisé en Europe, dont les rapports médicaux disent qu’il est cancérigène. L’Union européenne a prolongé son utilisation parce que les trusts agrochimiques étaient plus puissants que les Etats. Alors que c’est un produit dangereux, la France a déversé l’an dernier plus de 10 000 tonnes de pesticides sur ses terres arables, poisons qui se retrouvent nécessairement dans l’alimentation que nous consommons. Certes, le capitalisme au stade actuel est le mode de production le plus inventif, le plus dynamique, que l’humanité ait connu. Mais les oligarchies ont une seule stratégie : la maximalisation du profit dans le temps le plus court et souvent à n’importe quel prix humain. Cela aboutit à l’affaiblissement des institutions démocratiques, à un mépris absolu du bien commun, à la destruction progressive de la planète, de la biodiversité, des forêts tropicales, des abeilles, avec l’empoisonnement des sols, de l’eau et des mers. Dès maintenant, selon l’ONU, près de 2 milliards d’êtres humains n’ont pas d’accès régulier à une eau potable non nocive.

    Nous participons nous aussi à la destruction de la planète en consommant au-delà de nos besoins…

    Cette société de consommation qu’on nous a imposée fait effectivement de nous des complices, comme lorsqu’on achète des vêtements fabriqués dans des conditions inhumaines au Bangladesh. Mais cette évidence se fait de plus en plus jour. Emmanuel Kant a dit «l’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi». Cette conscience de l’identité avec l’autre est recouverte par l’obscurantisme néolibéral qui dit que seul le marché fait l’histoire et qu’il obéit à des «lois naturelles». C’est un pur mensonge qui anesthésie nos consciences.

    Il n’y a donc aucun espoir ?

    Si, nous portons en nous le désir indéracinable d’un monde plus juste, d’une terre préservée, du bonheur pour tous. Il ne s’agit pas d’une utopie romantique, mais d’une force historique. Cette utopie augmente rapidement. Il y a trente ans on disait que la faim était une fatalité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Tout le monde sait que la faim est due à l’action de l’homme et peut être éliminée demain. La grande question est : à quel moment, à quelles conditions matérielles cette utopie devient réalité sociale. C’est le problème de ce que Sartre appelle l’«incarnation». Cela s’est produit à la Révolution française. La féodalité, la monarchie, étaient destinées à l’éternité. Le 14 juillet 1789, des artisans et des ouvriers ont pourtant abattu la Bastille.

    Réformer le capitalisme financier globalisé est-il une solution pour sauver la planète ?

    On ne peut pas humaniser, améliorer, réformer un tel système. Il faut l’abattre. Aucun des systèmes d’oppression précédent, comme l’esclavage, le colonialisme, la féodalité, n’a pu être réformé. L’oppression ne se réforme pas.

    Mais comment mettre fin à un capitalisme si puissant ?

    J’ai le même espoir que le poète Pablo Neruda : «Ils pourront couper toutes les fleurs mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps». La conscience qui revendique l’égalité et la justice, l’intérêt commun comme boussole de toute activité politique augmente. L’espoir et l’action aujourd’hui sont portés par la société civile, faite d’une myriade de mouvements sociaux sur les cinq continents. Che Guevara écrit : «Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures». Et des fissures apparaissent ! Nous ne pouvons pas anticiper le monde nouveau à construire. C’est la liberté libérée dans l’homme qui le créera.

    Libération

     J'ai lu cet article intégralement.C'est long, mais fort  intéressant !


  • Commentaires

    1
    Samedi 1er Septembre 2018 à 18:02

    Les politiques ne parlent écologie qu' avant les votes, pour avoir les voix des verts !

     Mais ces mêmes verts,  quand  on voit les ministres sous  hollande, n' y croient pas non  plus et  lâchent  vite quand on leur propose  un autre  poste  comme la  causse !

    2
    Samedi 1er Septembre 2018 à 18:06

    Jean Ziegler, né Hans Ziegler le 19 avril 1934 (84 ans)à Thoune (Canton de Berne, Suisse), est un homme politique, altermondialiste et sociologue suisse. Il a été rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans lesquels il analyse notamment cette question. Il est vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies depuis 2009.

    Jean Ziegler a un doctorat en droit et un en sociologie[.

     

    Bibliographie

    La plupart de ses livres sont traduits dans les principales langues. Plusieurs d'entre eux sont des bestsellers à l'international.

    • Sociologie de la nouvelle Afrique, Gallimard, 1964.
    • Sociologie et contestation, essai sur la société mythique, Gallimard, 1969.
    • Le Pouvoir africain, Seuil, 1973, nouvelle édition revue et augmentée, 1979.
    • Les vivants et la mort ; Essai de sociologie, Seuil, 1973. Nouvelle édition revue et augmentée 1978.
    • Une Suisse au-dessus de tout soupçon, en collaboration avec Délia Castelnuovo-Frigessi, Heinz Hollenstein, Rudolph H. Strahm, 1976. Nouvelle édition 1983.
    • Main basse sur l’Afrique, 1978. Nouvelle édition 1980.
    • Retournez les fusils ! Manuel de sociologie d'opposition, Seuil, 1980. Nouvelles éditions revues et augmentées en 1991 puis en 2014.
    • Contre l’ordre du monde, les Rebelles, Seuil, 1983.
    • Vive le pouvoir ! Ou les délices de la raison d'état, Seuil, 1985.
    • La Victoire des vaincus, oppression et résistance culturelle, Seuil, 1988.
    • La Suisse lave plus blanc, Seuil, 1990.
    • Le Bonheur d’être Suisse, Seuil et Fayard, 1994.
    • L'Or du Maniema, Seuil, 1996.
    • La Suisse, l’or et les morts, Seuil, 1997 ; édition de poche, 2009.
    • Les Rebelles contre l’ordre du monde, L'Histoire immédiate, 1997.
    • Les Seigneurs du crime : les nouvelles mafias contre la démocratie, Seuil, 1998.
    • Le Livre noir du capitalisme, coauteur, éditions Le Temps des cerises, 1998.
    • La Faim dans le monde expliquée à mon fils, Le Seuil, 1999 (Réédité en 2011).
    • Les Nouveaux Maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Éditions Fayard, 2002.
    • Le Droit à l’alimentation, Paris, Éditions Fayard, 2003.
    • L’Empire de la honte, Paris, Éditions Fayard, 2005, 324 p. .
    • La Haine de l’Occident, Paris, Albin Michel, 2008 . Prix littéraire des droits de l'homme[33].
    • Destruction massive. Géopolitique de la faim, Paris, Le Seuil, 2011, 347 p. (ISBN 9782021060560) .
    • Un nouveau monde en marche, éd. Yves Michel, 2012, de Laurent Muratet et Étienne Godinot. Collectif avec entre autres Akhenaton, Christophe André, Stéphane Hessel (préface), Jean-Marie Pelt, Pierre Rabhi, Matthieu Ricard.
    • Retournez les fusils! Choisir son camp, (nouvelle édition), éd. Seuil, 2014, 294 p. http://www.seuil.com/livre-9782021169683.htm [archive].
    • Discours sur la dette (Présentation du texte de Thomas Sankara), Coll. "Quoi de neuf ?", éd. Elytis, 2014 (ISBN 978-2-35639-135-3), éd. L'Esprit du temps, 2017 (ISBN 978-2-84795-407-4).
    • Chemins d'espérance, Ces combats gagnés, parfois perdus mais que nous remporterons ensemble, éd. Seuil, 2016, 263 p. http://www.seuil.com/livre-9782021288766 [archive][34].

    Dernier livre :

    • Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), éd. Seuil, 2018, 128 p. (ISBN 978-2-02-139722-2).
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    3
    Rakia
    Samedi 1er Septembre 2018 à 18:39

    Comme il a raison ,ce grand homme suisse ! Une magnifique phrase qui résume presque tout :

    « Ils pourront couper toutes les fleurs mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps !»

    C’est simplement sublime ! Merci chantou pour ce magnifique et instructif article ,il est à lire 

    et à relire !

    4
    françoise
    Samedi 1er Septembre 2018 à 19:09

    J'aime bien cet homme ,je ne connais de lui que L'Empire de la Honte pour l'avoir lu ,il y traite la re -féodalisation du monde  ,la faim ,la dette  etc.. Un témoignage sur ce qu'il se passe partout ,Un homme lucide  qui a une profonde connaissance de l'Europe!!

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