• En Corse, à la recherche d’un pilote américain porté disparu depuis 1944

    En Corse, à la recherche d’un pilote américain porté disparu depuis 1944

    C’est une opération exceptionnelle que mène, au large de la Corse, une agence du département américain de la Défense, pour rapatrier les restes d’un pilote tombé aux commandes de son chasseur P47 durant la Seconde Guerre mondiale.

    Le mérou avance timidement dans le cockpit, inspecte le tableau de bord incrusté de coquillages. Dix-huit mètres sous les flots, ce corpulent poisson a élu domicile à l’intérieur de l’épave d’un avion de chasse de la Seconde Guerre mondiale, posée dans le calme mystérieux des profondeurs.

    Depuis le 26 juin, une étrange activité intrigue l’hôte de ces lieux. De longues heures durant, des plongeurs démineurs de la marine française explorent soigneusement la carlingue du P47 et ses environs, remuent le sable et la vase en quête d’indices, un étonnant aspirateur sous-marin à la main. Leur mission : rechercher les restes du pilote américain qui s’est crashé au large d’Anghione, en Corse, en 1944, à bord de son aéronef.

    Une manœuvre inédite impulsée par la DPAA, l’agence américaine chargée de ramener aux États-Unis les soldats disparus. « C’est une question d’honneur pour les forces armées américaines, explique Simon Hankinson, consul général des États-Unis à Marseille. On n’abandonne jamais un soldat tombé sur le champ de bataille. On vient le chercher et on le ramène. » Malgré le temps, malgré les ravages de l’érosion. « Notre objectif est de l’identifier et de rendre sa dépouille à sa famille », ajoute Daniel Friedman, lieutenant de l’US Navy dépêché en Corse pour superviser cette mission.

    Les restes du cockpit. LP/Philippe de Poulpiquet

    Plus de 50 000 « boys » ont stationné là pendant la Seconde Guerre mondiale. Au point que leurs gradés ont donné un nom de code à l’île de Beauté : USS Corsica. USS, « United States ship », comme pour un de leurs navires de guerre. Ces pilotes, très jeunes pour la plupart, ont joué un rôle crucial dans la campagne d’Italie et le débarquement de Provence. Ils sont ainsi 27 500 Américains à reposer dans les abîmes de la Méditerranée.

    L’avion pulvérisé en deux morceaux

    C’est l’épave d’un de ces avions de combat qui a été découverte à 1 200 m des côtes de Castellare-di-Casinca, dans les années 1980. Pulvérisé en deux morceaux, qui témoignent de la violence de l’impact. Il faudra attendre 2014 et le cliché d’un passionné de plongée pour mettre au jour le numéro de l’appareil.

    Les chercheurs de la DPAA se saisissent alors du dossier. En septembre dernier, ils sollicitent les plongeurs démineurs de la marine nationale pour les aider à enquêter. « Un chantier extraordinaire et hautement symbolique », s’enorgueillit le capitaine Benjamin, commandant du « Pluton », le bâtiment français déployé sur place.

    Sur le « Pluton », le 2 juillet à Anghione. LP/Philippe de Poulpiquet

    À bord, ils sont 35. L’équipage du navire, cinq binômes de plongeurs démineurs français et l’équipe de la DPAA. À l’arrière du navire, sur un tableau, les zones de fouilles ont été dessinées au feutre vert par les archéologues américains, sorte de plan de bataille des opérations.

    Dès l’aube, les plongeurs se relayent pour aspirer les fonds, en suivant à la lettre le quadrillage indiqué. Lorsqu’ils découvrent un morceau de l’avion ou encore un os humain, ils le placent précautionneusement dans un seau équipé d’un parachute marin qui le remonte vers la surface.

    Des plongeurs démineurs effectuent le renflouage de la zone à l’aide d’une pompe. LP/Philippe de Poulpiquet

    Le reste est aspiré jusqu’à un grand panier métallique qui tangue sur l’eau. Une fois remonté à bord du « Pluton », à l’aide d’une grue, le contenu est réparti dans des dizaines de seaux. À la chaîne, Français et Américains les hissent sur un pont plus élevé. Là, ces sédiments sont déversés sur des tamis (6 mm de maillage) arrosés d’eau pour faciliter le tri.

    Une dent humaine retrouvée

    Concentrés, quatre chercheurs scrutent ce curieux butin. Coquillages et cailloux sont immédiatement rejetés à la mer. Ce sont des « signes de vie » que les experts traquent sur leur tamis. Et parfois, un « indice » surgit. Comme cette dent humaine parfaitement conservée que découvre soudain Greg Stratton. Cet archéologue américain en a les larmes aux yeux. « Il y a même la racine ! Cela va faciliter les recherches ADN », s’emballe-t-il avant de protéger cette « preuve » dans un sachet, immédiatement consignée et placée sous scellé.

    Les sédiments sont déversés sur des tamis. LP/Philippe de Poulpiquet

    « On travaille à la manière de la police scientifique. Comme sur un cold case », explique ce natif du Texas. Son fils, 27 ans, pilote d’hélicoptère, sera bientôt envoyé en opération en Irak… L’armée, une affaire de famille, d’amour de la patrie. Le quinquagénaire dit sa « fierté » d’y prendre part. Il est d’ailleurs bénévole sur cette mission.

    Opération de recherche d’un pilote américain de la Seconde Guerre mondiale au large de la Corse

    En dix jours de chantier subaquatique, près de cinquante mètres carrés de fonds seront passés dans les filets des experts américains, soit des centaines de kilos de dépôts sondés dans leurs tamis. Que d’histoire remontée à la surface… Quelques restes d’effets personnels, grignotés par le sel, usés par le temps.

    Un cadran de montre, la plume d’un stylo, des semelles de chaussures en caoutchouc, la plaque portant le prénom du jeune lieutenant. Son arme, elle, n’a pas été retrouvée, sans doute dérobée par un collectionneur. « Certains plongeurs oublient que ces épaves sont des tombeaux », soupire l’archéologue.

    Les reliques remontées des eaux. LP/Philippe de Poulpiquet

    Ils ignorent sans doute aussi que ces reliques seront rendues à la famille, une fois que les chercheurs auront formellement identifié le soldat. Les chercheurs de la DPAA ont déjà une idée de son patronyme, quelques éléments de son parcours, des circonstances du crash, un accident, vraisemblablement. Mais ils attendront que les analyses ADN rendent leur verdict, dans l’un de leurs laboratoires, à Honolulu, sur l’île d’Hawaï ou dans le Nebraska, au cœur de l’Amérique.

    À l’issue de ce long processus, les restes du mystérieux disparu seront remis à ses descendants, lors d’une cérémonie très officielle, au cimetière d’Arlington, en Virginie. Les honneurs militaires, enfin, pour ce soldat resté si longtemps inconnu au milieu des flots.

    Des plongeurs démineurs effectuent le renflouage de la zone à l’aide d’une pompe. LP/Philippe de Poulpiquet

    Les démineurs plongeurs

    • Ils sont l’élite des grands fonds de la marine nationale. En France, il existe trois groupes de plongeurs-démineurs basés à Cherbourg, Brest et Toulon. Ces derniers ont opéré au sud de Bastia pour épauler les équipes de la DPAA afin de retrouver les restes d’un pilote américain. En temps normal, la mission de ces spécialistes de la plongée sous-marine consiste à déminer des bombes larguées dans les abîmes, en particulier lors de la Seconde Guerre mondiale. Car malgré le temps, les explosifs de ces engins restent extrêmement dangereux et actifs.

    L’agence américaine DPAA

    • Son siège : sur la base aérienne Hickman, à Hawaï. Fondée en 2015, la DPAA (Défense POW/MIA Accounting Agency) dépend du département de la Défense.
    • Son rôle : retrouver les corps des militaires américains prisonniers ou disparus depuis la Seconde Guerre mondiale. Selon les estimations de cette structure, dotée d’un budget de 150 millions de dollars par an, les corps d’environ 83 000 soldats américains n’ont pas été rendus à leur famille depuis lors. Beaucoup sont localisés dans la zone Asie Pacifique. 27 500 reposent en Méditerranée.
    • Son objectif : récupérer les restes de 200 soldats par an. Un objectif atteint l’année dernière.
    • Le Parisien
    • 1944, une année que je n'oublierai jamais !
    • Beaucoup de soldats américains sont morts pour nous aider. ne l'oubliez pas !

  • Commentaires

    1
    Rakia
    Dimanche 8 Juillet 2018 à 15:30
    Un sauvetage inoubliable !!! Pour ceux qui ont la mémoire courte , la chanson de Michel Sardou“ Les Ricains” leurs rafraîchit la cervelle ! J’espère que les chercheurs et les plongeurs réussissent leurs expéditions !
    2
    Françoise
    Dimanche 8 Juillet 2018 à 16:11

    Ne pas oublier tous ceux qui ont disparu ,retrouver un peu d'eux même il me semble que cela tombe sous le bon sens ! Une très bonne initiative que de retrouver ces oubliés d'une sale guerre !

    3
    Dimanche 8 Juillet 2018 à 17:43

    ça ne sera pas facile, vu le temps écoulé, et combien d' autres !

    4
    Lundi 9 Juillet 2018 à 09:14

    Impressionnant !<nath>

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