• «Curé de l’Oise, 40 ans de silence» : un prêtre étouffé avec son crucifix

    «Curé de l’Oise, 40 ans de silence» : un prêtre étouffé avec son crucifix

    Pourquoi le Père Roger Matassoli, 91 ans, apprécié de tous, a-t-il été tué sauvagement chez lui le 4 novembre 2019 ? Enquête en cinq épisodes sur un homme d’église au double visage.

    C’est une bâtisse en pierre de taille ocre, de celles dont on a construit les monuments de Paris. À l’intérieur de la maison d’un étage, aux volets presque toujours fermés, gît, ce lundi 4 novembre, le cadavre atrocement mutilé d’un vieillard de 91 ans. Un crucifix est enfoncé dans sa gorge. Au début de la rue du Pont-Roy, collé sur le portail, le scellé rose des gendarmes indique le nom de la victime : Roger Matassoli.

    Dans le paisible hameau de Ronquerolles, à Agnetz, un village de 3000 habitants à égale distance de Paris et d’Amiens, dans l’Oise, ce prêtre à la retraite coulait jusque-là, en toute discrétion, des jours paisibles.

    Face à l’état du corps, la mort violente ne fait aucun doute. Après l’autopsie, le procureur de la République de Beauvais, Florent Boura, évoque « une mort par asphyxie ». « Il n’a pas été étranglé », précise le magistrat. Des traces de coups ont été relevées sur l’abdomen, le visage et le crâne.

    « Il a été littéralement massacré »

    Les détails du crime sont barbares : outre le crucifix dans l’œsophage, les yeux de l’homme de Dieu ont été enfoncés dans leurs orbites. « Il a été littéralement massacré », résume une source proche du dossier.

    « Ce n’est pas le genre d’événement que l’on pense voir se produire ici. C’est très calme. On ne le voyait pas souvent ce monsieur, il sortait peu. C’est terrible de partir comme ça », confient des voisins abasourdis.

    Les élus du secteur tombent également des nues. Beaucoup ignoraient même la présence du religieux sur leurs terres. « Je ne le connaissais pas », confie le maire du village, Jean-Pierre Rousselle (SE). « J’avais découvert son existence en 2008 quand le curé d’Agnetz est mort, raconte Edouard Courtial, sénateur (LR) à la tête du village pendant douze ans. Je souhaitais qu’il y ait des messes plus régulières. J’avais pensé qu’il pourrait assurer des offices mais finalement cela ne s’était pas fait. »

    « Nous pensons à sa famille et prions pour lui », réagit Mgr Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais, Noyon et Senlis. « C’était un homme très cordial, simple, chaleureux, je suis sûr qu’il avait beaucoup d’amis dans le coin, témoigne le père Bernard Grenier, curé à Clermont-de-l’Oise, la paroisse voisine. Il se rendait disponible autant qu’il pouvait, il allait porter l’eucharistie à ses paroissiens, c’était un type bien. » Les commentaires des fidèles « en UDP », pour « en union de prières », fleurissent sur la page Facebook du diocèse.

    Un homme apprécié, connu de tous

    Un vieil homme encore alerte pour son âge. C’est à peu près le seul souvenir que Roger Matassoli a finalement laissé à Ronquerolles où il s’était installé dans la maison voisine de sa sœur, lorsqu’il a cessé d’officier en 2009. « Il s’était retiré depuis de nombreuses années, l’âge de la retraite se situant autour de 75 ans chez les prêtres, glisse alors pudiquement la communication de l’Eglise catholique dans l’Oise. Nous ne le voyions plus, ni aux assemblées ni aux réunions. »

    Dans la paroisse de Froissy sur laquelle il a régné 42 ans, il était en revanche connu de tous. L’homme pressé parcourait les petites routes de campagne de la douzaine de communes de son secteur d’une conduite sportive au volant de sa Citroën. Avec la dernière en date, il initiait les jeunes du coin à la conduite.

    « Il roulait vite, toujours pressé, regardait sa montre tout le temps, rigole un quadra, le premier enfant du village baptisé par le père Matassoli. Quand on était enfant de chœur, on préparait tout pour la messe, il arrivait au dernier moment. »

    Roger Matassoli et son frère jumeau sont nés à Creil (Oise) le 8 novembre 1928. Leur mère, Jeanne, était en couple avec Goffredo, un menuisier Italien naturalisé français par décret quelques mois après la noce en 1934. Jeanne s’était installée à Agnetz après le décès de Goffredo en 1951.

    « Il faisait de beaux sermons »

    Depuis qu’elle était veuve, elle rendait visite chaque semaine à son fils Roger, régulièrement accompagnée de sa fille Marie-José. En dehors des deux femmes, « il n’évoquait pas sa famille ». Hormis son jumeau, qu’il se plaisait à décrire parfois comme son « exact opposé, parce qu’il était communiste ».

    Dès son arrivée en 1967 à Saint-André-Farivillers, après avoir fait ses premiers pas d’abbé à Clermont onze ans plus tôt, il séduit ses ouailles, ébahis par ce prêtre moderne de 39 ans, qui ne porte pas la soutane mais toujours « un bonnet rouge ». « Mes parents l’aimaient bien, il faisait de beaux sermons, précise Alain, un enfant de Campremy qui n’a pas terminé son catéchisme. Mais il ne plaisantait pas avec les horaires, il fallait être sérieux. Des fois, il ne se gênait pas pour balancer des pics ciblées en plein office. C’est aussi pour ça que tout le monde se tenait à carreau. »

    « Il avait de l’entregent, raccompagnait les fidèles à la sortie de l’église en passant la main dans les cheveux des gamins », se souvient un visiteur occasionnel du village. « Il savait s’y prendre : la messe, il faisait ça comme il faut, assure un autre. A Noël, l’église était pleine. Le Père était estimé. Je l’avais invité à manger une fois à la ferme mais c’est tout. Ce n’est pas chez nous qu’il avait ses habitudes. Il fréquentait beaucoup les huppés. »

    Les familles du coin, qui vivent pour la plupart de la terre, sont ancrées ici depuis des générations. Rien n’a vraiment changé. L’église est nichée au carrefour des cinq hameaux du village, entourés de champs. Seules les éoliennes ont modifié le paysage ces dernières années. Les anciens ont usé leurs culottes courtes sur les bancs des mêmes églises et des mêmes écoles. Les petites rancœurs traversent le temps, les influences aussi. « Il y avait les gros propriétaires terriens, les élus, les notables... et les autres, qui avaient moins de poids », analyse une fille du pays.

    Un sacré caractère

    S’il dînait régulièrement avec le doyen de Froissy, le Père Matassoli avait ses rituels pour le déjeuner. Dans les années 70, les paroissiens se battaient, parfois au sens propre, pour l’avoir à leur table. Certains jalousaient ses fréquentations. « En ce temps-là, c’était dans les pratiques de donner au curé un poulet, une tarte ou un gâteau, se souvient Mauricette. Mais ce n’était pas rare qu’il les offre à son tour à ceux chez qui il était tout le temps fourré. »

    « Monsieur Matassoli ? C’était un sacré caractère ! », lance du tac au tac la fille de ce couple de Campremy, âgée d’une vingtaine d’années. « Il a refusé de baptiser ma nièce parce qu’à trois ans, c’était trop tard pour lui, enchaîne sa mère. J’ai eu peur que ce soit pareil pour mon fils mais c’est passé. Par contre, j’ai pris des remarques pour son prénom, parce que ce n’est pas celui d’un saint. »

    Sa voisine n’a pas eu cette chance. « Quand on s’est installé dans le village il y a 52 ans, je suis allée le voir pour baptiser ma fille. Après m’avoir demandé mon nom, il m’a répondu qu’il ne voulait pas entendre parler de cette famille... J’ai jamais su pourquoi ! » soupire-t-elle.

    « Il n’aimait pas les filles », croit savoir une voisine du presbytère du hameau d’Hédencourt à Saint-André-Farivillers où il a habité de 1967 à 2009. Plus d’une rêvait pourtant de devenir enfant de chœur... en vain. « Quand j’ai eu l’âge, j’ai demandé à l’être, comme ça commençait à se faire à l’époque dans certaines paroisses. Mais il n’a jamais voulu. »

    Surtout, seuls les garçons avaient accès à « la clef du paradis ». C’était le nom donné à une pièce aménagée au dernier étage du presbytère, une bâtisse en briques rouges en retrait de la rue et cachée derrière une modeste chapelle. Une pièce qui éblouissait les enfants. « C’était magnifique ! », s’enthousiasme encore aujourd’hui Laurent, 46 ans. Un circuit de train électrique faisait tout le tour de cette pièce immense, courait sur des étagères. Il y a avait une gare, des arbres, des bonhommes... L’abbé faisait tous les décors lui même, à la main, jusque dans les moindres détails. Et il y avait aussi du Coca chez lui ! Les filles étaient jalouses de ne pas être admises. »

    Elles l’étaient aussi aux beaux jours, quand les jeudis étaient synonymes de jeux d’eau avec « la piscine gonflable qu’il avait mise dans la cour ».

    « Il est allé à l’étage pour vérifier la vue que j’avais sur son jardin... »

    L’occasion pour les gamins de s’ébrouer, torse nu, mais pas seulement. Car très vite, des fausses notes aux résonances sordides se font entendre derrière le concert de louanges. Le passé trouble de Roger Matassoli refait inexorablement surface. « Il montait des camps scouts sur son terrain, relève un voisin du presbytère. Un jour, il est venu visiter ma maison, soi-disant par curiosité. Il est allé à l’étage pour vérifier la vue que j’avais sur son jardin. Il n’a plus organisé de camps après... »

    Mais Alexandre V., 19 ans, le principal suspect du meurtre, n’a pas connu cette époque. Le jour du crime, il est interpellé à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) pour des infractions routières. Excité, incohérent, il circule au volant de la voiture du curé. Les gendarmes préviennent son père, Stéphane*, un habitant de Beauvais qui déclare connaître le religieux. Il se rend alors à Agnetz où il découvre le cadavre et donne l’alerte.

    Eric*, le beau-père d’Alexandre, raconte : « Stéphane nous a appelés car il s’est rendu là-bas et a vu Matassoli par terre. J’y suis allé pour ne pas le laisser seul. La pièce était en désordre, tout était sens dessous dessus, broyé. Je n’ai pas vu sa tête mais son corps à travers le carreau de la porte. On se doutait qu’il était mort. On n’a pas essayé de rentrer car il y allait avoir une enquête et des relevés. »

    « Dans son subconscient, quand on voit ce qu’il a fait, on se dit qu’Alexandre en avait marre de son regard dégueulasse et lui a fait ravaler sa religion », analyse le beau-père. Car Alexandre connaissait Roger Matassoli. Le religieux lui donnait de l’argent. Et le jeune homme allait régulièrement chez lui. Il y faisait le ménage nu.

    Tous les épisodes :

    1. Un prêtre étouffé avec son crucifix
    2. Une famille détruite (disponible en ligne le 23 janvier)
    3. En 1984, la première plainte enterrée (24 janvier)
    4. De multiples alertes ignorées (25 janvier)
    5. Un demi-siècle d’emprise (26 janvier)

    Le Parisien


  • Commentaires

    1
    Rakia
    Jeudi 23 Janvier 2020 à 15:53

    Un jeune qui faisait le ménage nu chez un prêtre , on comprend 

    pourquoi ce dernier a été forcé à avaler son signe religieux …! 

    C’est ce qu’on appelle une vengeance à double visage ! 

    2
    Jeudi 23 Janvier 2020 à 17:35

    dommage   qu'il  ne  l' ai  pas  fait  avant !

     Un  bonhomme   à  double   face qui  cachait   bien  son  jeu

    3
    Françoise
    Jeudi 23 Janvier 2020 à 20:22

    Cela rappelle certains crimes au Moyennage !

    4
    fripouille
    Vendredi 24 Janvier 2020 à 09:48

    Un pervers prévoyant, sauf pour sa propre mort...

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